Résumé
Enjeu
- Les gouvernements canadiens successifs se
sont montrés réticents à refuser des licences d’exportation
sur la seule base de considérations liées aux droits de la personne. Les
critères d’évaluation du TCA obligent le gouvernement à refuser un
permis s’il existe un risque important (c’est-à-dire un « risque sérieux » en droit canadien
ou un « risque prépondérant » aux termes du Traité) que
l’exportation entraîne la violation des lois de la guerre ou des droits de
la personne.
- Les
gouvernements canadiens successifs ont eu tendance à produire des rapports
inadéquats sur les exportations de produits militaires du Canada ainsi que
sur le courtage d’armes au Canada et par des Canadiens dans d’autres pays.
Les ventes de systèmes civils aux utilisateurs finaux militaires ne sont
pas déclarées au Canada, tout comme les ventes aux États-Unis, principal acheteur de
produits militaires fabriqués au Canada. Le TCA oblige le
Canada à modifier ces pratiques et à accroître considérablement la
transparence.
Contexte
Le TCA énonce les critères humanitaires
selon lesquels les gouvernements membres exportent des armes classiques,
qu’elles soient légères ou lourdes. C’est le premier et le seul traité
juridiquement contraignant conçu pour réglementer le commerce mondial des
armes, lequel représente plusieurs milliards de dollars. Le Canada sera le dernier État membre de l’OTAN et du G7 à adhérer au
Traité, qui a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies
en 2013 et est entré en vigueur en 2014. L’adhésion comporte des modifications
au droit canadien, plus précisément à la Loi sur les licences d’exportation et
d’importation et au Code criminel, et ajoute
de nouveaux critères pour évaluer les demandes de permis d’exportation,
notamment des critères liés à des actes graves de violence fondée sur le sexe
ou à des actes graves de violence contre des femmes et des enfants. Plutôt que
d’interdire des accords d’exportation spécifiques d’aujourd’hui ou de demain,
le TCA ajoute un palier international de responsabilité au processus
décisionnel canadien sur les licences d’exportation, tout en obligeant le
gouvernement fédéral et les exportateurs à maintenir un système de contrôle
national plus transparent et à défendre publiquement leurs évaluations des
risques.
L’industrie canadienne de l’armement compte
environ 2 000 entreprises qui génèrent 6 000 emplois pour
l’économie canadienne et 12 milliards de dollars de revenus. Environ la
moitié de ces revenus proviennent de l’étranger et de la vente de produits et
services militaires à des clients dont le bilan en matière de droits de la
personne est alarmant. La vente à l’Arabie saoudite de véhicules blindés de
fabrication canadienne d’une valeur de 15 milliards de dollars en
est un bon exemple.
Selon les médias et les sondages d’opinion
publique, ce contrat déplaît à de nombreux Canadiens, sinon à la plupart,
pour des raisons à la fois éthiques, juridiques et politiques. Restant l’un des
principaux auteurs de violations des normes internationales relatives aux
droits de la personne, le royaume mène actuellement une guerre au Yémen, où une
coalition militaire dirigée par les Saoudiens cible régulièrement des civils
par des bombardements et des blocus. Cela est non seulement illégal en droit
international, mais aussi une cause directe de ce qui est, selon toute mesure
raisonnable, la pire catastrophe humaine actuelle au monde. De plus, le
gouvernement saoudien s’est engagé dans de multiples différends diplomatiques
avec le Canada et ses alliés. Les relations entre Ottawa et Riyad se sont effondrées
en août 2018 lorsque la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a
légèrement critiqué l’horrible bilan du royaume en matière de droits de la
personne. Après l’assassinat choquant du journaliste Jamal Khashoggi au
consulat saoudien d’Istanbul plus tard cette année-là, le gouvernement Trudeau
a évoqué la possibilité d’un arrêt des futures expéditions d’armes
vers Riyad.
Facteurs à
considérer
- Le TCA
renforce la réglementation canadienne actuelle sur les transferts d’armes
et d’équipement militaire. Le gouvernement fédéral est en mesure de renforcer
davantage la réglementation canadienne en augmentant la transparence et en
enregistrant les ventes de tous les produits de fabrication canadienne
utilisés par les armées étrangères.
- Le
gouvernement fédéral s’est maintenant engagé à produire des rapports sur
les exportations aux États-Unis de produits militaires complets, mais pas nécessairement sur les principaux
sous-systèmes et composants construits au Canada qui sont
régulièrement intégrés aux principaux systèmes américains et vendus à des
utilisateurs finaux tiers.
- En
vertu de la nouvelle loi, le gouvernement fédéral est tenu d’évaluer
toutes les exportations en fonction des critères d’évaluation du TCA, qui
sont très variés, ainsi qu’en fonction d’un critère de risque sérieux.
- La
détermination de la nature des violations du droit de la guerre ou des
droits de la personne reste politiquement délicate. Toutefois, le
gouvernement fédéral est en mesure de limiter légalement le pouvoir discrétionnaire du
ministre des Affaires étrangères d’approuver les exportations
d’armes et d’introduire des critères plus spécifiques quant à ce qui
constitue un risque sérieux dans des situations politiques telles que
l’affaire susmentionnée des armes saoudiennes.
- À en
juger par les déclarations du gouvernement et les sondages d’opinion publique, plusieurs
alliés et partenaires du Canada ne veulent plus armer l’Arabie saoudite.
Le Sénat américain a imputé l’assassinat de Khashoggi au gouvernement
saoudien, et au prince héritier Mohammed bin Salman en particulier, tout
en demandant au gouvernement américain de retirer son aide militaire à la
guerre menée par les Saoudiens au Yémen. Les gouvernements du Danemark, de la Finlande, de la Suède, de l’Autriche et de la Grèce
ont effectivement mis un terme aux futures exportations d’armes vers
l’Arabie saoudite. Le gouvernement allemand a également mis un
terme aux exportations déjà approuvées.
- En
2018, le gouvernement Trudeau a déclaré qu’il envisageait des moyens d’arrêter toutes les
expéditions de véhicules de GDLSC vers le royaume, mais n’a
fourni aucune mise à jour sur cette mesure depuis, ni fait de déclarations
sur les exportations continues à destination de Riyad de fusils et autres
équipements militaires fabriqués au Canada.
- Le gouvernement Trudeau et GDLSC ont tous deux déclaré que
l’annulation de la vente d’armes saoudiennes entraînerait des pénalités
d’un ou plusieurs milliards de dollars que le gouvernement canadien
devrait payer.
- Les
libéraux aussi bien que les conservateurs souhaitent maintenir le cap relativement au contrat
des armes saoudiennes. Le Nouveau Parti démocratique, le Bloc Québécois et le Parti vert du Canada souhaitent l’annuler
(le NPD a renversé sa position en 2016).
Recommandations
Le gouvernement fédéral devrait :
- suivre
les conseils des organisations de défense des droits de la personne et
prendre des mesures supplémentaires pour accroître la transparence et
améliorer l’enregistrement des exportations d’armes du Canada; cela
s’appliquerait à toutes les exportations vers les États-Unis, y compris
les sous-systèmes et les composants;
- chercher
à appliquer des critères stricts d’évaluation du TCA, y compris un critère
de risque sérieux bien conçu, à l’égard des exportations d’armes du
Canada; cela s’appliquerait à toutes les exportations vers les États-Unis,
y compris les sous-systèmes et les composants;
- élaborer
un cadre pour évaluer ce qui constitue une violation inacceptable rendant
un acheteur inadmissible aux exportations, futures ou actuelles;
- envisager
d’aligner la position du Canada sur celle de ses partenaires et alliés
européens et de mettre fin aux exportations à destination de Riyad.
Publié le mercredi
14 août 2019 dans L'Impact uOttawa. Srdjan Vucetic
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