Tuesday, August 20, 2019

Renforcer le contrôle des exportations d’armes du Canada


Résumé


Le régime d’exportation d’armes du Canada contredit l’image que le Canada a de lui-même en tant que nation pacifique et progressiste. Maintenant que le Canada est sur le point d’adhérer au Traité sur le commerce des armes (TCA), le gouvernement fédéral devrait envisager d’établir des critères plus précis concernant les risques que du matériel militaire canadien soit utilisé en violation des lois de la guerre ou des droits de la personne. En outre, il devrait proposer un cadre qui permettrait d’évaluer ce qui constitue une violation inacceptable et qui rendrait un acheteur inadmissible aux exportations (actuelles ou futures). Enfin, il devrait envisager d’aligner la position canadienne sur celle de ses partenaires et alliés européens en mettant fin aux exportations vers l’Arabie saoudite. 

Enjeu

  • Les gouvernements canadiens successifs se sont montrés réticents à refuser des licences d’exportation sur la seule base de considérations liées aux droits de la personne. Les critères d’évaluation du TCA obligent le gouvernement à refuser un permis s’il existe un risque important (c’est-à-dire un « risque sérieux » en droit canadien ou un « risque prépondérant » aux termes du Traité) que l’exportation entraîne la violation des lois de la guerre ou des droits de la personne.
  • Les gouvernements canadiens successifs ont eu tendance à produire des rapports inadéquats sur les exportations de produits militaires du Canada ainsi que sur le courtage d’armes au Canada et par des Canadiens dans d’autres pays. Les ventes de systèmes civils aux utilisateurs finaux militaires ne sont pas déclarées au Canada, tout comme les ventes aux États-Unis, principal acheteur de produits militaires fabriqués au Canada. Le TCA oblige le Canada à modifier ces pratiques et à accroître considérablement la transparence.

Contexte

Le TCA énonce les critères humanitaires selon lesquels les gouvernements membres exportent des armes classiques, qu’elles soient légères ou lourdes. C’est le premier et le seul traité juridiquement contraignant conçu pour réglementer le commerce mondial des armes, lequel représente plusieurs milliards de dollars. Le Canada sera le dernier État membre de l’OTAN et du G7 à adhérer au Traité, qui a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2013 et est entré en vigueur en 2014. L’adhésion comporte des modifications au droit canadien, plus précisément à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et au Code criminel, et ajoute de nouveaux critères pour évaluer les demandes de permis d’exportation, notamment des critères liés à des actes graves de violence fondée sur le sexe ou à des actes graves de violence contre des femmes et des enfants. Plutôt que d’interdire des accords d’exportation spécifiques d’aujourd’hui ou de demain, le TCA ajoute un palier international de responsabilité au processus décisionnel canadien sur les licences d’exportation, tout en obligeant le gouvernement fédéral et les exportateurs à maintenir un système de contrôle national plus transparent et à défendre publiquement leurs évaluations des risques.
L’industrie canadienne de l’armement compte environ 2 000 entreprises qui génèrent 6 000 emplois pour l’économie canadienne et 12 milliards de dollars de revenus. Environ la moitié de ces revenus proviennent de l’étranger et de la vente de produits et services militaires à des clients dont le bilan en matière de droits de la personne est alarmant. La vente à l’Arabie saoudite de véhicules blindés de fabrication canadienne d’une valeur de 15 milliards de dollars en est un bon exemple.
Selon les médias et les sondages d’opinion publique, ce contrat déplaît à de nombreux Canadiens, sinon à la plupart, pour des raisons à la fois éthiques, juridiques et politiques. Restant l’un des principaux auteurs de violations des normes internationales relatives aux droits de la personne, le royaume mène actuellement une guerre au Yémen, où une coalition militaire dirigée par les Saoudiens cible régulièrement des civils par des bombardements et des blocus. Cela est non seulement illégal en droit international, mais aussi une cause directe de ce qui est, selon toute mesure raisonnable, la pire catastrophe humaine actuelle au monde. De plus, le gouvernement saoudien s’est engagé dans de multiples différends diplomatiques avec le Canada et ses alliés. Les relations entre Ottawa et Riyad se sont effondrées en août 2018 lorsque la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a légèrement critiqué l’horrible bilan du royaume en matière de droits de la personne. Après l’assassinat choquant du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul plus tard cette année-là, le gouvernement Trudeau a évoqué la possibilité d’un arrêt des futures expéditions d’armes vers Riyad.

Facteurs à considérer

  • Le TCA renforce la réglementation canadienne actuelle sur les transferts d’armes et d’équipement militaire. Le gouvernement fédéral est en mesure de renforcer davantage la réglementation canadienne en augmentant la transparence et en enregistrant les ventes de tous les produits de fabrication canadienne utilisés par les armées étrangères.
  • Le gouvernement fédéral s’est maintenant engagé à produire des rapports sur les exportations aux États-Unis de produits militaires complets, mais pas nécessairement sur les principaux sous-systèmes et composants construits au Canada qui sont régulièrement intégrés aux principaux systèmes américains et vendus à des utilisateurs finaux tiers.
  • En vertu de la nouvelle loi, le gouvernement fédéral est tenu d’évaluer toutes les exportations en fonction des critères d’évaluation du TCA, qui sont très variés, ainsi qu’en fonction d’un critère de risque sérieux.
  • La détermination de la nature des violations du droit de la guerre ou des droits de la personne reste politiquement délicate. Toutefois, le gouvernement fédéral est en mesure de limiter légalement le pouvoir discrétionnaire du ministre des Affaires étrangères d’approuver les exportations d’armes et d’introduire des critères plus spécifiques quant à ce qui constitue un risque sérieux dans des situations politiques telles que l’affaire susmentionnée des armes saoudiennes.  
  • À en juger par les déclarations du gouvernement et les sondages d’opinion publique, plusieurs alliés et partenaires du Canada ne veulent plus armer l’Arabie saoudite. Le Sénat américain a imputé l’assassinat de Khashoggi au gouvernement saoudien, et au prince héritier Mohammed bin Salman en particulier, tout en demandant au gouvernement américain de retirer son aide militaire à la guerre menée par les Saoudiens au Yémen. Les gouvernements du Danemark, de la Finlande, de la Suède, de l’Autriche et de la Grèce ont effectivement mis un terme aux futures exportations d’armes vers l’Arabie saoudite. Le gouvernement allemand a également mis un terme aux exportations déjà approuvées.
  • En 2018, le gouvernement Trudeau a déclaré qu’il envisageait des moyens d’arrêter toutes les expéditions de véhicules de GDLSC vers le royaume, mais n’a fourni aucune mise à jour sur cette mesure depuis, ni fait de déclarations sur les exportations continues à destination de Riyad de fusils et autres équipements militaires fabriqués au Canada.
  • Le gouvernement Trudeau et GDLSC ont tous deux déclaré que l’annulation de la vente d’armes saoudiennes entraînerait des pénalités d’un ou plusieurs milliards de dollars que le gouvernement canadien devrait payer.
  • Les libéraux aussi bien que les conservateurs souhaitent maintenir le cap relativement au contrat des armes saoudiennes. Le Nouveau Parti démocratique, le Bloc Québécois et le Parti vert du Canada souhaitent l’annuler (le NPD a renversé sa position en 2016).

Recommandations

Le gouvernement fédéral devrait :
  • suivre les conseils des organisations de défense des droits de la personne et prendre des mesures supplémentaires pour accroître la transparence et améliorer l’enregistrement des exportations d’armes du Canada; cela s’appliquerait à toutes les exportations vers les États-Unis, y compris les sous-systèmes et les composants;
  • chercher à appliquer des critères stricts d’évaluation du TCA, y compris un critère de risque sérieux bien conçu, à l’égard des exportations d’armes du Canada; cela s’appliquerait à toutes les exportations vers les États-Unis, y compris les sous-systèmes et les composants;
  • élaborer un cadre pour évaluer ce qui constitue une violation inacceptable rendant un acheteur inadmissible aux exportations, futures ou actuelles;
  • envisager d’aligner la position du Canada sur celle de ses partenaires et alliés européens et de mettre fin aux exportations à destination de Riyad.
Publié le mercredi 14 août 2019 dans L'Impact uOttawa. Srdjan Vucetic 

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